Le DoD a-t-il compris?

De manière presque inaperçue, le Département de la Défense des Etats-Unis a corrigé le 16 septembre 2009 par la plume de Michelle FLOURNOY, sous-secrétaire à la Défense chargée de définir la politique du ministère (n°3 du Pentagone), la fameuse directive 3000.5 sur le « soutien militaire aux opérations de sécurité, stabilité, transition et reconstruction » (SSTR) en date du 28 novembre 2005. Rappelons brièvement que cette directive appelait alors les différentes composantes du ministère (notamment les services ou forces armées) à « donner [aux opérations de stabilisation] une priorité comparable à celle des opérations de combat« . Il s’en était ensuivies des mesures plus ou moins concrètes, plus ou moins efficaces et plus ou moins sincères de la part desdits services pour exécuter la directive.

En dépit de son avancée rhétorique, la directive de novembre 2005 souffrait de nombreux défauts imputables autant aux obstacles et diversions bureaucratiques qu’à la précipitation relative dans laquelle le Département tentait de faire intérioriser les principes de la « guerre au sein des populations » par les forces armées américaines. Parmi ces défauts, il faut en noter trois:

  • Une définition plutôt vague de la mission: « les actions civiles et militaires conduites le long du spectre de la paix au conflit pour maintenir ou restaurer l’ordre dans des Etats ou des régions« . Autrement dit, les missions n’étaient pas forcément comprises comme du ressort des militaires d’une part. Et d’autre part, la focale du ministère s’établissait sur les problématiques politiques de maintien de l’ordre.
  • Un spectre plutôt restreint des domaines concernés. En effet, la directive stipulait que les missions exercées dans ce cadre concerneraient la réforme du secteur de la sécurité (RSS), la reconstruction des infrastructures économiques et le développement d’une « bonne gouvernance ».
  • Une relation ambigüe aux organismes civils. Le DoD prenait acte du fait que les militaires étaient chargés de ces tâches dès lors que « les civils sont dans l’incapacité de l’accomplir« , mais ne prenait pas la peine de détailler les mesures concrètes destinées à accroître la coordination. En d’autres termes: l’action « interagence » y apparaissait essentiellement comme une invocation rhétorique et non comme une réelle politique de synergie.

Le document de septembre 2009 apparaît comme une preuve supplémentaire que la version initiale était, pour reprendre l’expression de David Ucko (amical salut à toi David), le symptôme d’une apparence d’apprentissage.

En effet, plusieurs nouveautés sont à signaler qui démontrent une volonté d’éclaircissement conceptuel et de réformes organisationnelles.

  • Les opérations de stabilisation (il n’est plus question de « soutien militaire à la sécurité, stabilisation, transition et reconstruction ») sont définies comme « un terme global comprenant des missions, actions, tâches militaires variées conduites hors des EU en coordination avec d’autres instruments de la puissance nationale afin de maintenir et rétablir un environnement sur et sécurisé, de fournir les services publics essentiels, une reconstruction d’urgence des infrastructures  et l’aide humanitaire« . Foin de toute finasserie conceptuelle: il s’agit de reconnaître que ces missions sont par essence aussi des missions militaires.
  • La politique du ministère de la Défense américain est affirmée: il ne s’agit plus seulement de proclamer que « les opérations de stabilisation sont des missions de coeur de métier des forces armées des EU que celles-ci doivent se préparer à conduire et à supporter« , mais bien plutôt que « les opérations de stabilisation sont des missions de coeur de métier des forces armées que le Département de la Défense doit se préparer à conduire avec une compétence égale à celle des opérations de combat« . On se trouve bien devant un programme politique volontariste qui vise à inscrire les missions de stabilisation comme une mission propre des forces armées des EU. On mesure combien l’effort de clarification conceptuelle fourni ces 6 dernières années représente un basculement total de la « culture militaire » américaine.
  • L’éventail des missions conduite est beaucoup plus large: rétablissement du contrôle civil, restauration et fourniture des « services essentiels » (essentiellement l’électricité, l’eau, la collecte des ordures et la plupart des fonctions édilitaires et de service public), réparation des infrastructures critiques, et fourniture d’aide humanitaire. Il s’agit donc, si l’on en croît les décideurs civils du Pentagone (OSD), de rendre les militaires aptes et compétents à agir sur le court comme sur le long terme, dans des environnements plus ou moins sécurisés.
  • Last but not least, les relations avec les composantes civiles nationales ou internationales sont clarifiées et ne relèvent plus du wishful thinking du document initial. Il ne s’agit pas d’invoquer de manière rhétorique (rituellement?) le partenariat avec d’hypothétiques agences dont on sait les difficultés en terme de ressources ou d’effectifs dans l’espoir d’échapper à la « corvée de la stabilisation ». Il faut désormais que le Département de la Défense se prépare à « conduire (…), soutenir (…), et diriger les actions de stabilisation (…) jusqu’au moment où il est faisable d’en transférer la responsabilité à d’autres agences du gouvernement des EU, à des forces de sécurité ou des gouvernements des pays-hôtes ou à des organisations intergouvernementales« .

Bien entendu, il ne s’agit que d’une instruction, et sa portée dépendra en grande partie de l’écho qu’elle trouvera parmi les services dont on sait par ailleurs, outre les sensibilités culturelles propres, l’attachement à d’autres priorités. Notamment, les programmes d’acquisition d’une part (les plate-formes couteuses qui correspondent à la fois à l’argumentaire d’un budget conséquent et à l’expression d’un rôle idéal pour chaque institution) et l’attachement à une formation initiale et professionnelle classique (qui garantissent une certaine forme de reproduction sociale entre les générations) sont les principaux obstacles à ce que laisse entrevoir la politique de Mme FLOURNOY (fondatrice du think tank Center for a New American Security, à la mode au sein de l’administration actuelle), qui est celle impulsée dans les discours du Secrétaire Robert GATES.

Quoiqu’il en soit, ce document doit être relié à deux autres facteurs:

-le Comité des Chefs d’Etat-Major (Joint Chiefs of Staff JCS) vient de faire paraître le Joint Publication 3-24 Counterinsurgency. Par rapport au FM 3-24/MCWP 3-33.5, il faut noter la volonté de parler des éléments criminels (en dépit des réticences de certains pour qui tout ceci est du ressort de la police) ou encore de détailler l’approche « s’emparer-tenir-construire ».

-Il y a bien évidemment le débat sur la stratégie à adopter en A-stan. A cet égard, les récents développements laissent songeur car ils passent sous silence la nécessité d’une véritable politique qui peut aussi bien être appliquée via le CT que via une stratégie COIN.

2 réflexions sur “Le DoD a-t-il compris?

  1. I am tempted to resign the DoDI to a case of ‘more of the same’. Yes, in some ways it points to institutional progress and greater conceptual clarity: it is clearer in some of its terms, as you suggest. But on the other hand, ‘Instruction’ is a demotion from a ‘Directive’ and, as you also say, all will depend on the ‘echo’ or resonance it finds within the wider organisation.

    Perhaps one of the key contributions of the Instruction is that it provides some division of labour between civilian and military actors. Whether that division of labour will be viable in practice is another matter.

  2. David,
    It’s great you comment here!
    I agree with your appreciation, that’s why I’ve used an interrogative sentence as a title.
    I’d like to underline the fact that this instruction deepens the evidence of the previous directive as an « appareance of learning ».
    Anyway, this is an important question to raise and you’ve done it a great way in your book which I recommend everyone to read
    Amitiés
    Stéphane

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